Dakar, 23 sept. 2025 (VIBRACTU) – Écoutez… L’histoire commence à Orkadiéré, en 1945. Ce jour-là, le village voit naître un enfant pas comme les autres : Farba Sally Bocar Seck.
Fils unique d’Ifra Dioubol Seck et de Mariam Gatta Sam, il descend des illustres lignées des Farba Baguel et des Farba Nguénar, dynasties de griots dont la parole est mémoire et dignité.
Très tôt, l’enfant se distingue. À peine adolescent, il fédère déjà quatre associations, dont le premier regroupement des jeunes d’Orkadiéré. Cette structure veille sur la vie sociale, éducative et sanitaire du village, et accueille même un jour le président Léopold Sédar Senghor en visite à Matam.
Sally Bocar apprend la généalogie auprès de son oncle, son homonyme, puis à Nguidjilone auprès des Thiédo. Il devient un maître de la mémoire vivante, déroulant les lignées avec précision.
Cavalier accompli, il aimait se présenter à cheval lors des cérémonies, où sa voix résonnait comme un tambour, rappelant les origines et les alliances.
Sa grandeur ne réside pas seulement dans son savoir, mais dans ses choix. Un jour, après avoir dressé la généalogie d’un roi Thiédo, il refuse une généreuse récompense en argent. À la place, il demande que trente jeunes soient soutenus dans leur travail.
Voilà l’homme : généreux, visionnaire, toujours tourné vers les autres.
À dix-neuf ans, il accomplit le pèlerinage à La Mecque. Puis viennent Dakar, l’Afrique centrale, l’Europe.
Partout, les émigrés pulaar l’accueillent comme un guide. Ils lui offrent par dizaines, parfois par centaines de millions, qu’il redistribue aux Sénégalais en difficulté, pour leur permettre de rentrer ou de bâtir un commerce au pays.
En 2006, son peuple l’intronise « Farba », titre prestigieux qui fait de lui la figure morale et régulatrice des griots du Fouta.
Mais Farba Sally Bocar Seck n’est pas qu’un griot. Réducteur serait ce mot. Il est, selon la tradition peulh, un « ko saawdu hakkille », un condensé de savoirs féconds.
Historien du Fuuta-Tooro, généalogiste, ethnologue, artiste peulh ouvert aux autres cultures, il était à la fois gawlo, médiateur, confident, bâtisseur de liens et conseiller.
Sa parole, il la porte haut. Ses célèbres causeries sur l’histoire pulaar sont recherchées. Elles sont consignées dans un livre édité en France dans les années 2000 par Mamadou Abdoul Seck. Lui-même est auteur d’un ouvrage reconnu, « Guélé Naagué woula gooto », salué par les spécialistes de l’histoire et de l’oralité.
En 2010, à l’UCAD, les étudiants Peulh de tout le Sénégal, regroupés autour de l’Association « Feede Dental », le consacrent « Jaalal Légnol » dans une salle comble.
Et à la télévision 2STV, son émission « Yéla », soutenue par la musique de Hady Guissé et Mansour Seck, captive un pays entier.
Mais malgré sa renommée, il reste fidèle à Orkadiéré. Dans son village natal, il met des terres à disposition de familles démunies pour qu’elles en soient usufruitières. Chaque année, il finance de sa poche les chants religieux du village. Il cultive un vaste champ dont les récoltes nourrissent les pauvres.
Ainsi, il incarne pleinement ce que les anciens appellent un sage bâtisseur de mémoire.
Le 21 septembre 2013, Farba Sally Bocar Seck tire sa révérence. Mais son souvenir reste vivant : dans les récits de ses enfants et héritiers qui perpétuent son œuvre, dans ses recherches devenues une référence incontournable sur l’histoire des Peulh et du Fuuta-Tooro, et dans la mémoire collective d’un peuple.
Humble mais rigoureux, généreux mais exigeant, il laisse derrière lui un phare, une voix, un héritage.
Car tant que ses récits circulent, tant que le Fouta chante son nom, Farba Sally Bocar Seck vit encore.
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